samedi 16 juin 2007

L'ivresse du pouvoir



Pouvoir de l'ivresse ? Ivresse du pouvoir ? Ivresse de soi ? Difficile de trancher...

Voici un témoignage intéressant, celui de Richard Werly, journaliste au service étranger du quotidien suisse Le Temps, et collaborateur de Libération.


Chapitre I : Heiligendamm, jeudi 7 juin, 17h30...

Oui, Nicolas Sarkozy avait bien l'air bizarre pour sa toute première conférence de presse donnée lors d'un G8.

Quasi-exploit

Je vous parle en connaissance de cause. J'étais au troisième rang, juste devant la caméra dont les images du président français circulent aujourd'hui abondamment sur Internet. Ceux qui avaient pu, comme moi, atteindre le centre de briefing d'Heiligendamm étaient pour la plupart dans la salle. Presque un exploit: les protestataires anti-G8 ayant bloqué le train à vapeur reliant le centre de presse à la salle de briefing, distants d'une dizaine de kilomètres, les rescapés avaient été convoyés dans l'après-midi en bateau... ou en hélicoptère. Beaucoup de journalistes français, coincés et furieux, durent d'ailleurs se contenter de regarder ce jour-là leur président sur écran.

Grand vide

Résumons: l'intervention de Nicolas Sarkozy était la seule à cette heure. Pas de tension particulière ni d'agitation sécuritaire donc, dans ce centre de briefing monté de toute pièce à l'extérieur du Grand Hotel Kempinski, pour que les grands de ce monde ne soient pas importunés par les reporters. Le reste s'est passé comme ça : Sarko est arrivé en retard, pressé. Eméché ? Cela ne m'est pas venu à l'esprit. Il ne titubait pas. Il semblait plutôt étonné d'être propulsé là, au milieu des journalistes, tous leur carnet de notes en main. Je l'ai senti plutôt angoissé par un grand vide. Pris de vertige. Un peu comme un trapéziste qui voit soudain le sol défiler sous lui. Il n'était pas serein - mais lui arrive-t-il de l'être ? Plus grave : il ne semblait pas non plus très bien préparé par ses conseillers à son premier punching-ball diplomatico-médiatique.

Euphorie planante

Le malaise venait du ton. Je l'ai dit dès la fin de la conférence à mon collègue Yves Petignat, aussi sur place pour couvrir le G8. L'hôte de l'Elysée était euphorique. Il planait. Au point de nous prévenir qu'il avait «gardé son calme» devant Poutine. Au point de demander, devant ses conseillers un tantinet éberlués, si «la diplomatie française peut lui accorder un peu de marge de manoeuvre»... Ce Nicolas Sarkozy paraissait éberlué, bluffé, étonné lui-même d'être enfin là, dans ce «saint des saints» de la puissance mondiale. «Dans ce G8, on n'a pas une seconde, on court de réunion en réunion», a-t-il poursuivi. Regards déconcertés des confrères. Ce président-là ressemblait à un grand ado un peu perdu, sortant de sa pochette surprise ses propositions pour sauver le monde: moratoire de six mois sur le Kosovo, annonce d'une prochaine visite au Royaume-Uni pour convaincre Gordon Brown de soutenir son «traité simplifié»...

A côté de la plaque

Je l'ai, pour tout dire, vraiment trouvé à côté de la plaque. Pas alcoolisé. Plutôt survitaminé. Comme dopé. Quelque chose sonnait faux dans ses mots. Il n'était pas ce soir là le chef de l'Etat français. Il était «Sarko» : cet énergique politicien qui vous veut du bien, vous sourit mécaniquement, est bourré de tics et ramène tout à lui: la victoire arrachée à Bush sur le climat, l'arrêt des souffrances au Darfour... Je l'ai suivi en campagne électorale, avec le correspondant du Temps à Paris, Sylvain Besson. Il est comme ça. Il lui faut du pathos, de l'adhésion, une bonne dose de «Je», de «moi».

Ivre d'être là...

Amphétamines, alcool, déprime ? Laissons de côté les rumeurs qui vagabondent sur Internet. Ce qui m'a sidéré, en cette fin d'après-midi au G8, c'est que Nicolas Sarkozy ne parlait pas de l'état du monde. Il nous parlait de lui, de sa «franchise», de son «agenda», de son «calme». D'abord ivre d'être là. Saoulé par ses propres paroles.


Chapitre II : le buzz

On savait que Nicolas Sarkozy était une star d'Internet. Depuis son élection, c'est sur le Web que la chronique politique de son quinquennat a pris place. Révélations, commentaires, etc. La toile vit au rythme un tantinet frénétique du nouvel hôte de l'Elysée. L'aventure de ma chronique «G8, Heiligendamm, jeudi, 17h30» postée mardi vient à nouveau de le démontrer.

Surprise

Je ne redirai pas ici ce que j'ai écrit mardi soir, alors que l'affaire de sa première conférence de presse au G8 commençait à exciter les internautes. J'ai tenté d'expliquer ce que j'avais trouvé bizarre dans son comportement, qui était vraiment déroutant. Je n'en sais pas plus sur le fond de l'histoire et les vérités non-dites. S'il y en a.

Ma surprise, aujourd'hui, vient de l'écho suscité par mon texte. Au moins une vingtaine de mails d'amis ou de collègues français ont fait irruption hier sur mon écran d'ordinateur alors que je peinais à raconter à nos lecteurs le contenu du dernier rapport de l'Union européenne sur les finances publiques des Vingt-Sept. Plus des milliers de pages lues, je crois, sur les sites ayant repris ma description de ce premier grand moment diplomatico-médiatique de Nicolas Sarkozy. Je n'avais pas saisi qu'aussitôt mis en ligne sur LeTemps.ch, cette chronique rapidement écrite avait fait un petit tour sur Internet, pour devenir la «vérité d'un journaliste suisse», dûment commentée ou stipendiée par les internautes...

Liste

J'ai donc essayé depuis de me souvenir qui, parmi mes collègues français – j'ai raconté qu'un certain nombre d'entre eux avaient été bloqués ce jeudi 7 juin au centre de presse, à une dizaine de kilomètres du lieu de briefing – se trouvaient à mes côtés. J'ai fait une liste de ceux que je connais. Et j'ai fait un tour du Web. Or je n'ai pas vu, sur les sites Web de leurs journaux ou radios respectifs, d'allusions à ces bizarreries présidentielles, hormis parfois les reprises... de mon texte et des images de la TV belge. Laquelle je crois, a dû présenter des excuses. [note d'Eupalinos : en effet, j'ai entendu les excuses du journaliste belge sur France Info]

Mea culpa

Il n'est pourtant pas difficile de savoir qui était là. Plusieurs de ces envoyés spéciaux hexagonaux ont posé des questions alors que moi, devancé par la charmante journaliste polonaise qui a conclu la conférence de presse, je n'ai pas réussi à attraper le micro. Question alors : ont-ils, mes amis français, ressenti la même gène que moi ? Comment ont-ils trouvé leur président ? Mea culpa de mon côté. J'aurai du aller vers eux et les interroger, au lieu, comme je l'ai fait sitôt la rencontre achevée, de téléphoner pour dire mon étonnement à mon collègue du Temps présent à Heiligendamm, et à un ou deux vieux complices parisiens. Ceux qui se sentent visés par ces quelques lignes accepteraient-ils de me dire si c'est moi, ce jeudi-là, qui était «à côté de la plaque» ? Merci d'avance.

Richard Werly

Aucun commentaire: