mercredi 27 juin 2007

Pétition

A l'attention du bureau national du Parti Socialiste et du Premier Secrétaire

Nous, militants de base du parti socialiste, réclamons une consultation directe - donc un vote des adhérents en section - afin d'avancer le calendrier du prochain congrès de l'automne 2008 à l'automne 2007. La refondation ne s'accomplira pas du jour au lendemain et elle ne peut plus attendre une nouvelle année perdue. Seul un congrès peut obliger les uns et les autres à se positionner clairement dans cette perspective. Différer toujours le bilan de nos échecs successifs devient suicidaire.

Il faut un sursaut.

Puisqu'il n'est pas venu du Conseil National, il faut que ce sursaut arrive de la base, des militants.

Selon le titre 6 des statuts du parti, il suffit que 15% des militants demandent cette consultation (par exemple sur la date d'un congrès à venir) pour qu'elle ait lieu :

6.11 Consultation directe des adhérents

Sur proposition du (de la) Premier(e) Secrétaire du Parti, du bureau national, de 35 fédérations, ou à la demande d'au moins 15% des adhérents.

Ne laissons pas une poignée d'apparatchiks confisquer ce débat vital, redonnons la parole aux militants : contre le retour de l'immobilisme, exigeons la tenue d'un congrès anticipé à l'automne 2007.

Signez la pétition , et surtout faites-la signer et circuler autour de vous !
Affichez le lien sur vos blogs, parlez-en au sein de vos réunions de section !

Philippe de Tilbourg

CLIQUER ICI POUR SIGNER

samedi 16 juin 2007

L'ivresse du pouvoir



Pouvoir de l'ivresse ? Ivresse du pouvoir ? Ivresse de soi ? Difficile de trancher...

Voici un témoignage intéressant, celui de Richard Werly, journaliste au service étranger du quotidien suisse Le Temps, et collaborateur de Libération.


Chapitre I : Heiligendamm, jeudi 7 juin, 17h30...

Oui, Nicolas Sarkozy avait bien l'air bizarre pour sa toute première conférence de presse donnée lors d'un G8.

Quasi-exploit

Je vous parle en connaissance de cause. J'étais au troisième rang, juste devant la caméra dont les images du président français circulent aujourd'hui abondamment sur Internet. Ceux qui avaient pu, comme moi, atteindre le centre de briefing d'Heiligendamm étaient pour la plupart dans la salle. Presque un exploit: les protestataires anti-G8 ayant bloqué le train à vapeur reliant le centre de presse à la salle de briefing, distants d'une dizaine de kilomètres, les rescapés avaient été convoyés dans l'après-midi en bateau... ou en hélicoptère. Beaucoup de journalistes français, coincés et furieux, durent d'ailleurs se contenter de regarder ce jour-là leur président sur écran.

Grand vide

Résumons: l'intervention de Nicolas Sarkozy était la seule à cette heure. Pas de tension particulière ni d'agitation sécuritaire donc, dans ce centre de briefing monté de toute pièce à l'extérieur du Grand Hotel Kempinski, pour que les grands de ce monde ne soient pas importunés par les reporters. Le reste s'est passé comme ça : Sarko est arrivé en retard, pressé. Eméché ? Cela ne m'est pas venu à l'esprit. Il ne titubait pas. Il semblait plutôt étonné d'être propulsé là, au milieu des journalistes, tous leur carnet de notes en main. Je l'ai senti plutôt angoissé par un grand vide. Pris de vertige. Un peu comme un trapéziste qui voit soudain le sol défiler sous lui. Il n'était pas serein - mais lui arrive-t-il de l'être ? Plus grave : il ne semblait pas non plus très bien préparé par ses conseillers à son premier punching-ball diplomatico-médiatique.

Euphorie planante

Le malaise venait du ton. Je l'ai dit dès la fin de la conférence à mon collègue Yves Petignat, aussi sur place pour couvrir le G8. L'hôte de l'Elysée était euphorique. Il planait. Au point de nous prévenir qu'il avait «gardé son calme» devant Poutine. Au point de demander, devant ses conseillers un tantinet éberlués, si «la diplomatie française peut lui accorder un peu de marge de manoeuvre»... Ce Nicolas Sarkozy paraissait éberlué, bluffé, étonné lui-même d'être enfin là, dans ce «saint des saints» de la puissance mondiale. «Dans ce G8, on n'a pas une seconde, on court de réunion en réunion», a-t-il poursuivi. Regards déconcertés des confrères. Ce président-là ressemblait à un grand ado un peu perdu, sortant de sa pochette surprise ses propositions pour sauver le monde: moratoire de six mois sur le Kosovo, annonce d'une prochaine visite au Royaume-Uni pour convaincre Gordon Brown de soutenir son «traité simplifié»...

A côté de la plaque

Je l'ai, pour tout dire, vraiment trouvé à côté de la plaque. Pas alcoolisé. Plutôt survitaminé. Comme dopé. Quelque chose sonnait faux dans ses mots. Il n'était pas ce soir là le chef de l'Etat français. Il était «Sarko» : cet énergique politicien qui vous veut du bien, vous sourit mécaniquement, est bourré de tics et ramène tout à lui: la victoire arrachée à Bush sur le climat, l'arrêt des souffrances au Darfour... Je l'ai suivi en campagne électorale, avec le correspondant du Temps à Paris, Sylvain Besson. Il est comme ça. Il lui faut du pathos, de l'adhésion, une bonne dose de «Je», de «moi».

Ivre d'être là...

Amphétamines, alcool, déprime ? Laissons de côté les rumeurs qui vagabondent sur Internet. Ce qui m'a sidéré, en cette fin d'après-midi au G8, c'est que Nicolas Sarkozy ne parlait pas de l'état du monde. Il nous parlait de lui, de sa «franchise», de son «agenda», de son «calme». D'abord ivre d'être là. Saoulé par ses propres paroles.


Chapitre II : le buzz

On savait que Nicolas Sarkozy était une star d'Internet. Depuis son élection, c'est sur le Web que la chronique politique de son quinquennat a pris place. Révélations, commentaires, etc. La toile vit au rythme un tantinet frénétique du nouvel hôte de l'Elysée. L'aventure de ma chronique «G8, Heiligendamm, jeudi, 17h30» postée mardi vient à nouveau de le démontrer.

Surprise

Je ne redirai pas ici ce que j'ai écrit mardi soir, alors que l'affaire de sa première conférence de presse au G8 commençait à exciter les internautes. J'ai tenté d'expliquer ce que j'avais trouvé bizarre dans son comportement, qui était vraiment déroutant. Je n'en sais pas plus sur le fond de l'histoire et les vérités non-dites. S'il y en a.

Ma surprise, aujourd'hui, vient de l'écho suscité par mon texte. Au moins une vingtaine de mails d'amis ou de collègues français ont fait irruption hier sur mon écran d'ordinateur alors que je peinais à raconter à nos lecteurs le contenu du dernier rapport de l'Union européenne sur les finances publiques des Vingt-Sept. Plus des milliers de pages lues, je crois, sur les sites ayant repris ma description de ce premier grand moment diplomatico-médiatique de Nicolas Sarkozy. Je n'avais pas saisi qu'aussitôt mis en ligne sur LeTemps.ch, cette chronique rapidement écrite avait fait un petit tour sur Internet, pour devenir la «vérité d'un journaliste suisse», dûment commentée ou stipendiée par les internautes...

Liste

J'ai donc essayé depuis de me souvenir qui, parmi mes collègues français – j'ai raconté qu'un certain nombre d'entre eux avaient été bloqués ce jeudi 7 juin au centre de presse, à une dizaine de kilomètres du lieu de briefing – se trouvaient à mes côtés. J'ai fait une liste de ceux que je connais. Et j'ai fait un tour du Web. Or je n'ai pas vu, sur les sites Web de leurs journaux ou radios respectifs, d'allusions à ces bizarreries présidentielles, hormis parfois les reprises... de mon texte et des images de la TV belge. Laquelle je crois, a dû présenter des excuses. [note d'Eupalinos : en effet, j'ai entendu les excuses du journaliste belge sur France Info]

Mea culpa

Il n'est pourtant pas difficile de savoir qui était là. Plusieurs de ces envoyés spéciaux hexagonaux ont posé des questions alors que moi, devancé par la charmante journaliste polonaise qui a conclu la conférence de presse, je n'ai pas réussi à attraper le micro. Question alors : ont-ils, mes amis français, ressenti la même gène que moi ? Comment ont-ils trouvé leur président ? Mea culpa de mon côté. J'aurai du aller vers eux et les interroger, au lieu, comme je l'ai fait sitôt la rencontre achevée, de téléphoner pour dire mon étonnement à mon collègue du Temps présent à Heiligendamm, et à un ou deux vieux complices parisiens. Ceux qui se sentent visés par ces quelques lignes accepteraient-ils de me dire si c'est moi, ce jeudi-là, qui était «à côté de la plaque» ? Merci d'avance.

Richard Werly

dimanche 3 juin 2007

François Hollande à Villefontaine !




François Hollande est venu à Villefontaine le 21 mai dernier pour soutenir deux candidates locales à la députation : Laurence Finet-Girard (6e circonscription de l'Isère) et Elyette Croset Bay (7e circonscription), qui l'encadrent sur la photo ci-dessus. A gauche, Elisabeth Nicoud, candidate suppléante d'Elyette ; à droite, André Colomb-Bouvard, Vice-Président du Conseil Régional et candidat aux élections municipales de l'Isle d'Abeau.

Photos : Eupalinos (cliquer sur les images pour les agrandir)

Ségolène Royal à Lyon le 31 mai !




Photos : Eupalinos (cliquer sur les images pour les agrandir)

Ségolène Royal se pose en leader de l'opposition et rêve de créer un grand "parti de masse"

LYON, PRIVAS, DIGNE-LES-BAINS ENVOYÉE SPÉCIALE

Pas à pas, Ségolène Royal regrimpe la montagne. L'ex-candidate socialiste fait son "devoir" en s'impliquant dans la campagne législative, mais elle prépare aussi sa stratégie pour s'imposer à la tête du Parti socialiste. "La politique, c'est un cheminement", dit-elle.

En trois étapes, jeudi 31 mai, Mme Royal est d'abord allée soutenir ses candidats : Najat Vallaud-Belkacem et Pierre-Alain Muet, à Lyon, dans le Rhône, respectivement sa porte-parole et son conseiller durant la campagne présidentielle ; Pascal Terrasse à Privas, en Ardèche, là où commença sa conquête de l'investiture du PS ; et enfin Jean-Louis Bianco, son codirecteur de campagne, à Digne-les-Bains, dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Des fidèles indispensables, demain, pour représenter ses idées à l'Assemblée, et la soutenir dans le parti, en complément de "plein" de cadres locaux qu'elle dit avoir repéré dans les fédérations. "J'ai besoin d'être en appui sur des parlementaires nombreux pour continuer le travail", explique-t-elle sous le préau d'une école élémentaire de Privas, devant quelques centaines de personnes. Privas, là "où tout est parti", le 8 mars 2006, a-t-elle rappelé, et "où tout recommence"...

UN PS "SANS FRONTIÈRE"

A l'ensemble des candidats, Mme Royal assigne des "missions", se comportant en leader de l'opposition. "En tout cas, c'est comme ça que les militants me voient", confie-t-elle, confortée sur ce point par les sondages. "Voilà quatre missions que je donne à l'opposition", expose-t-elle à Digne : "Etre vigilant, surveiller, proposer, protéger. Pour chaque proposition de la droite, il appartiendra à la gauche d'opposer un contre-projet pour que les Français ouvrent les yeux et qu'ils comprennent qu'il y a une alternative." Aux électeurs et sympathisants, elle donne pour consigne de "continuer à venir sur Désirs d'avenir", son site Internet, et d' "adhérer au PS". "Le risque, commente Mme Royal en aparté, c'est que les nouveaux adhérents s'en aillent et que le parti se replie sur lui-même." Elle imagine une suite : "Créer un parti de masse, sinon ce sera toujours une machine à désigner les candidats." Un parti fondé sur de "nouvelles convergences", qui s'appuierait notamment sur les électeurs des cités qui ont voté massivement pour elle : "Il faut que la citoyenneté née pendant la campagne puisse conforter le Parti socialiste. Une époque nouvelle s'ouvre, des stratégies nouvelles sont à inventer."

BAYROU "AURAIT EU MATIGNON"

Ah ! si François Bayrou avait répondu à ses appels entre les deux tours de la présidentielle... "Il aurait dû fusionner, il aurait eu Matignon, affirme Mme Royal en petit comité. Je ne sais pas comment le PS aurait réagi mais l'opinion aurait suivi, les Français auraient adhéré, c'est la rénovation qu'ils voulaient... A un moment, l'histoire passe, il faut la capter. Il a manqué d'audace."

Depuis le 6 mai, l'ancien candidat centriste n'a plus donné signe de vie. Mais, à l'avenir, rien n'est exclu puisque Mme Royal revendique un PS ouvert, "sans frontière". "Localement", avec le MoDem, "il va se passer des choses pour les municipales", pronostique l'ex-candidate. Cette ouverture-là fera partie du travail de rénovation auquel devront s'atteler les socialistes après les législatives avec, chez Mme Royal, le dessein de recourir de nouveau à la méthode des débats participatifs. Dans ce cadre, elle compte réfléchir sur le succès du slogan de Nicolas Sarkozy "travailler plus pour gagner plus" comparé à la recette "traditionnelle" de l'augmentation du smic à 1 500 euros.

Pour affronter le président élu, "qui veut incarner à lui seul la droite et la gauche (...), le patronat et le syndicat - tout le monde est caressé", elle dresse la liste des "batailles" à mener : contre le bouclier fiscal qui bénéficiera "seulement à 15 000 contribuables" et contre la réduction des droits de succession aux "20 000 plus gros patrimoines" alors que les franchises médicales, "ça, c'est pour tout le monde" ; contre l'augmentation des heures supplémentaires qu'elle compare à "la légalisation du travail au noir" et qui, "en l'absence de cotisations, ne seront pas prises en compte pour la retraite".

A la "vague bleue annoncée avec le relais du pouvoir médiatico-financier et le pouvoir sondagier", Mme Royal oppose "une vague blanche", comme sa couleur fétiche de campagne, "sans référence historique bien entendu", et même "une vague de toutes les couleurs".

Isabelle Mandraud

www.lemonde.fr

Ce que résister veut dire

Par Pierre Cornu et Jean-Luc Mayaud, enseignants d’histoire contemporaine des Universités

Le peuple souverain s’est prononcé : après une campagne longue et intense, dans une participation massive et à une majorité indiscutable, il a choisi, avec Nicolas Sarkozy, le candidat de la « liquidation » des héritages et des idéaux de l’humanisme social.

Nous sommes les liquidés : intellectuels de la « pensée unique de gauche », chercheurs qui ne trouvent jamais rien d’utile, «droits-de-l’hommistes» incorrigibles, oppresseurs de la fierté nationale, partisans des «fraudeurs» des «assistés» et, qui sait, peut-être complices de «terroristes». Enfin démasqués, désavoués, désarmés. Et si l’on nous accorde le bénéfice de la sincérité, cruellement atteints par ce verdict.

Mais reconnaître la défaite de la pensée n’implique pas de renoncer à penser. Menacée dans les fondements même de son existence par l’avènement planétaire d’une société de marché négatrice de toute valeur autre que mesurable en monnaie, sommée d’accepter les règles d’une compétition sans merci pour la survie économique dans un contexte de rétrécissement dramatique des ressources de la planète, une majorité du peuple de ce pays s’est donnée à celui qui, au nom de l’« efficacité », a choisi d’incarner la trahison de ses idéaux collectifs. Pis que cela, celui qui a érigé la trahison en idéal, ascèse collective vers une « vérité » retrouvée de la nation, enfin débarrassée de l’angoisse de la responsabilité morale et du souci d’autrui.

Ce pays de passion politique ne fait jamais rien à demi. C’est les yeux grands ouverts que la France majoritaire a choisi l’aveuglement ; c’est libre et consciente qu’elle a choisi l’aliénation, le reniement, la soumission. Rencontre d’une névrose individuelle et d’une névrose collective, dans la production d’une énergie morale désespérée et autodestructrice. Que faire, que dire face à un tel désastre ?

Clairement, les vieux mots d’ordre de l’humanisme ne sont plus de mise : dénoncer, éduquer, cultiver, nous l’avons fait, génération après génération, au pouvoir et dans l’opposition, en chaire et en livres, et c’est cette conception descendante des Lumières et de la morale civique qui se trouve aujourd’hui rejetée sans appel. Nos mots ne résonnent plus, ne vibrent plus dans les corps. Les prédicateurs et les camelots l’ont emporté sur les maîtres. L’économie du désir a subverti l’ordre symbolique ; la politique de la peur et de la haine a remplacé celle de la conscience et de la justice. On peut s’en désoler, il y a là un fait : l’humanisme et l’universalisme renaîtront dans l’expérience incarnée du jeu social et de la production du sens, ou il ne renaîtront pas.

Les recettes du pragmatisme politique, tout autant, sont épuisées : la candidate de la gauche, Ségolène Royal, a fait tous les compromis possibles avec l’ordre des choses, cela n’a pas suffi à faire accepter par une majorité l’idéal de responsabilité morale du corps civique dont elle se voulait porteuse, non plus qu’à défendre les derniers vestiges de l’universalisme révolutionnaire auxquels elle ne voulait pas renoncer. C’est, justement, pour les aider à oublier les promesses des Lumières et le goût du bonheur que les citoyens se sont donné un chef impavide, lui-même en rupture d’héritage. Aller plus loin dans l’empathie avec le malade, ce serait se mettre au service de son mal.

Bien sûr, nous dira-t-on, il y a aussi la main tendue du nouveau pouvoir, généreuse, magnanime : renier ses « vieilles lunes », monter sur une estrade pour confesser ses péchés, et participer à la construction enthousiaste de la « France de demain ». Suivre le chemin du « réalisme », écouter enfin, avec une humilité que la gauche aurait oubliée, la supposée demande d’autorité et d’efficacité de la « majorité silencieuse ». Majorité qui, dans une assimilation de l’ordre moral aux lois biologiques, serait la gardienne des vertus propres de la nation, puisées tout d’abord dans l’ascèse de l’effort, du travail, de la discipline ; ensuite dans un ancrage à « la terre » qui, elle, et contrairement aux artifices de l’intellectualité, « ne ment pas ». Majorité qui, dans l’acceptation résignée de sa faiblesse face à la complexité et aux menaces de la mondialisation, en appellerait donc, après les faux espoirs de la libération du sujet, à la protection des puissants. Mais quel mépris de l’humanité, quelle morgue aristocratique ou cléricale faut-il ressentir pour adhérer à ces représentations archaïques et accepter de les manipuler à son profit ?

Nous refusons cette main tendue ; nous refusons la normalisation néo-conservatrice. Nous choisissons, aux côtés de tous ceux qui croient encore à la fécondité de l’idéal des Lumières et du contrat social, et au nom de tous ceux que l’on menace d’en être exclus ou qui le sont déjà, la voie de la résistance.

Celle-ci ne peut toutefois se concevoir dans la répétition, fut-elle généreuse et sincère, de gestes hérités. Que les historiens soient au moins utiles à cela : rejeter le fétichisme de l’histoire, et la vaine croyance en l’existence de « lois » et de « répétitions » – à la fois rassurantes et désespérantes. Nous ne sommes pas en 1940. Le 6 mai 2007 n’est pas un coup d’État. Pas non plus le produit d’une lutte des classes, victoire du pot de fer contre le pot de terre – même si la rupture du compromis historique entre le capital et le travail, incarné dans l’État social, a pesé lourd dans ce scrutin. C’est au vrai une crise sociale, culturelle et morale d’une ampleur et d’un genre nouveaux, une crise de civilisation de l’ensemble des sociétés post-industrielles qui, miroir inversé du siècle des Lumières, menace de nous plonger, au nom de la compétitivité, dans une logique mortifère de purification du corps social.

De fait, l’intelligibilité globale du projet historique des Lumières s’est évanouie dans la complexification des sciences, l’autonomisation des instances de pouvoir nationales, européennes et planétaires – qui peut encore prétendre en maîtriser les enjeux ? – et la perte de substance de l’éthique – simple instrument de légitimation de l’ordre des choses. Et c’est bien ce qui a permis, avec le passage de la révolution industrielle à la révolution technologique, la confiscation des outils de la puissance par une élite oublieuse du compromis social et politique de son avènement, et tentée de substituer à un contrat social et un État-providence bien trop contraignants pour elle une stratégie de manipulation médiatique et une gestion de la force de travail et des consommateurs par la peur économique. Dès lors, il est aisé de comprendre comment les démagogues, alliant maîtrise du capital financier, des firmes technologiques, de l’industrie du divertissement et de grands partis politiques, ont pu cyniquement convaincre le corps social de la responsabilité de la « gauche » ou de « Mai 68 » dans la destruction des formes anciennes de solidarité et de protection – la nation, la communauté, la famille –, générant une criminalisation de la misère et une suspicion généralisée entre dominés, artificiellement segmentés en groupes culturels ou ethniques. Et c’est aujourd’hui nous tous, sujets-objets schizophrènes de sociétés techniciennes dont nous sommes incapables de comprendre les lois et le devenir, qui sommes en danger d’anéantissement identitaire et moral, ennemis de nous-mêmes et d’autrui.

Dans ce climat d’extrême tension et d’anxiété générale, que l’on entende pour ce qu’elles signifient les métaphores sportives et compétitives récurrentes du nouveau président : il s’agit désormais de courir, courir à perdre haleine vers la « fin de l’histoire ». La mort derrière, la mort devant, la mort comme monture. L’évangile anti-humaniste auquel s’était converti le candidat Nicolas Sarkozy est bien, face à l’horizon muré du siècle, un vertige de la toute-puissance et de l’auto-aliénation. Vertige dans lequel tout l’appareil d’État centralisé de la France républicaine, qui plus est privé de contre-pouvoirs par la soumission des principaux médias et l’écrasement électoral de l’opposition de gauche, se trouve à partir de ce jour engagé.

Or, l’humanisme social, même rénové, ne peut rivaliser dans cette sorte de compétition. Il est fini le temps où l’on pouvait, la foi révolutionnaire chevillée au corps et la culture de l’honnête homme en tête, préparer méthodiquement la « socialisation » des outils de la puissance. Les groupes médiatiques, les fonds de pension, les laboratoires technologiques, et même les outils réglementaires de la vie économique planétaire sont aujourd’hui hors de portée de tout mouvement social. Et quand bien même un tel mouvement parviendrait à placer ses leaders aux fonctions de pouvoir, ce serait pour les voir déchirés entre l’impuissance à modifier les règles du jeu et la trahison des leurs. Les exemples, hélas, abondent de tels échecs. De ce point de vue, les économistes qui conseillent le nouveau président et qui l’ont aidé à discréditer le programme de son adversaire (mais se sont bien gardés de critiquer ses promesses compassionnelles) ont parfaitement raison : la croissance capitaliste post-industrielle est incompatible avec quelque régulation sociale que ce soit. Elle exige une aliénation totale du social – et donc de l’humain – à la rationalité financière.

Tout ce que l’humanisme peut faire, et ce qu’il doit faire dans le siècle présent, où la course à la croissance matérielle et à la consomption des ressources et de l’environnement menace le devenir même de l’humanité, c’est justement refuser d’y participer ; refuser d’accompagner de ses discours et de ses vertus consolatrices la brutalité du capitalisme parvenu à son stade ultime. Il doit choisir la non-puissance. Freiner le train tant qu’il est temps. Avec et au nom de ses passagers.

Contre l’énergie morale négative de l’anti-humanisme, appuyée sur la maîtrise des outils techniques, financiers et médiatiques de la puissance, il lui faut donc régénérer sa propre énergie morale, son propre élan historique dans la sphère de la vie sociale et de sa production symbolique autonome et souveraine. Aucune société, en effet, ne peut vivre sans donner sens à son rapport au monde et sans capacité à projeter celui-ci. À plus forte raison ne peut-elle vivre de la destruction de son propre univers symbolique. Or, c’est bien là le talon d’Achille des contre-révolutions néo-conservatrices qui frappent les pays post-industriels, depuis le foyer américain jusqu’à la France : la nécessité, pour elles, de fondre dans leur creuset tous les héritages moraux de leurs nations pour produire les va-leurres de leur aliénation et les empêcher de prendre conscience de l’absurdité criminelle de la course à la puissance et de l’énergie de la peur et du désir mêlés. Il faut donc, résolument, leur dénier l’accès à ces héritages. Refuser, si le président Sarkozy persiste dans son projet mortifère, de servir le ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Nous laisser ensevelir dans le silence. Donner à entendre le vide sidéral d’un idéal humain ramené à la lutte pour la vie et à la haine d’autrui.

À l’évidence toutefois, ce sont des révisions déchirantes que cette forme de résistance nous impose. Car il va falloir se déshabituer d’en appeler à la France de 1789, de 1848 ou du Front populaire ; renoncer à invoquer, dans les conseils de discipline des écoles ou dans les tribunaux, dans les grèves et dans les manifestations, la tolérance, les « circonstances atténuantes », « l’excuse de minorité », le droit social ; oublier, aux grilles des camps de rétention pour sans-papiers, l’utopie d’une France « terre d’asile », d’une France généreuse de son enseignement, de sa vie culturelle et scientifique, artistique et philosophique, de sa médecine publique et de ses savoir-faire techniques. Cette France-là, cette France spirituelle, la France réelle majoritaire, son président et ses serviteurs ont décidé de la sacrifier. Qu’ils assument cette violence contre eux-mêmes, et le parricide dont elle est symboliquement entachée. Qu’ils assument, sans les oripeaux de la culture et de la morale, l’obscénité de la guerre économique. Les vers de Victor Hugo, les mots de Jean Jaurès, la science et la lucidité de Marc Bloch, le sang des morts du maquis des Glières ne répondent plus de leurs choix.

C’est donc pour ne pas laisser consumer et disparaître cette France dans les fourneaux de l’utilitarisme économique et de la démagogie politique, que nous choisissons aujourd’hui d’en détacher les amarres. Nous sommes, en elle, en exil. Non pas condamnés à l’impuissance par le verdict des urnes – la science et la pensée ne sont pas de leur ressort –, mais ayant fait le choix, justement, de détruire le lien symbolique entre la légitimité et la puissance, celui-là même que les penseurs des Lumières avaient noué, dans le laboratoire de l’Encyclopédie. Acte de violence certes, mais contre nous-mêmes pour l’essentiel. Ce n’est pas la vocation d’un chercheur, habité par l’idéal d’éclairer la vie sociale et les choix institutionnels du fruit de ses découvertes et de son expertise, que d’entrer en lutte avec les représentants du peuple souverain. Pourtant, encore une fois, ce n’est pas nous qui avons voulu la sécession entre les deux cités ; ce n’est pas nous qui avons rompu l’alliance entre l’élan spirituel de production de la connaissance, de la valeur et du sens, et l’élan physique et technique de production de l’espace, de la richesse et de sa répartition. Aussitôt que le corps civique, sorti de l’illusion collective dans laquelle il s’engage aujourd’hui contre ses intérêt les plus immédiats, exprimera le désir de renouer avec les valeurs de solidarité, de partage et de responsabilité individuelle et collective qui ont produit les plus beaux moments de l’histoire de ce pays, nous serons là pour lui rendre son héritage et, à son service, au service du bien public, l’aider à en actualiser et à en incarner les principes.

En attendant ce jour, que les amis de la France des Lumières ouvrent les yeux : celle qu’ils aimaient et admiraient n’est plus. La patrie des droits de l’homme est en exil sur son propre sol, et eux qui prétendent parler en son nom sont des usurpateurs.

Que les élus, représentants d’associations, chercheurs, enseignants, travailleurs sociaux, artistes, militants qui restent attachés aux idéaux révolutionnaires, libéraux au sens humaniste du terme, respectent le choix des urnes ; mais qu’ils ne collaborent pas aux lois liberticides ou criminogènes, qu’ils n’apportent pas la caution de leur autorité morale à la destruction de la morale. Défendons les collectivités territoriales et les institutions économiques et culturelles encore libres ; organisons, dans l’oubli des querelles intestines, la résistance parlementaire ; agissons, en silence, pour soutenir les exclus du nouvel ordre social et en amoindrir les souffrances ; mais ne laissons pas croire, si les projets annoncés sont mis en œuvre, que la République soit toujours dans la république. Lorsque ne resteront, autour de l’homme qui s’est fait élire sur la trahison des Lumières, que d’autres traîtres, des arrivistes et des courtisans, alors même les outils de la communication moderne ne pourront plus rien pour masquer son illégitimité.

Enfin et surtout, que tous ceux qui, sur ce sol, croyaient pouvoir invoquer les Lumières pour défendre leurs droits, sachent que ceux-ci sont désormais lettre morte. Qu’ils n’épuisent pas leur énergie à affronter un État redevenu Bastille, des dominants redevenus noblesse. Qu’ils ne cèdent pas à la haine, qui nourrit la peur et le repli. Qu’ils ne donnent pas à la machine sécuritaire le sang dont elle a besoin pour se légitimer. Si celle-ci doit tomber un jour, ce sera avec d’autres armes que celles du passé. Non pas les uns contre les autres, « majorité silencieuse » contre « minorité morale », victimes contre victimes, mais ensemble, dans la dignité retrouvée et refondée du lien social et de notre lien au monde. Les nouvelles révolutions sont à inventer.

Lyon, le 7 mai 2007

samedi 2 juin 2007

L'oubli de la dette

La question de la dette a été posée au cours de la campagne présidentielle. Elle est le remords d'une société qui lègue à ses enfants, voire à ses petits-enfants, le soin de rembourser ses dépenses quotidiennes. On en parle nettement moins à l'approche des élections législatives, d'autant que celui qui la dénonçait le plus, François Bayrou, a pratiquement disparu du paysage.

La dette était l'invitée surprise, mercredi 30 mai, de l'émission d'ordinaire moins grave de Frédéric Taddeï, Ce soir ou jamais, sur France 3. On commençait par la décision de Nicolas Sarkozy d'étendre la déduction fiscale des intérêts à tous les emprunts en cours pour l'acquisition d'une résidence principale. "Cette réduction d'impôts vise à pousser les Français à s'endetter, puisqu'on les pousse à emprunter pour leur logement. Donc on creuse la dette de l'Etat pour inciter les gens à s'endetter, ce qui n'est d'ailleurs pas déraisonnable, puisque s'endetter pour acheter un logement est une très bonne chose", expliquait Jacques Attali. Ce double visage, souriant et grimaçant, de la dette allait revenir pendant toute l'émission au point de donner le tournis. "La dette de l'Etat sert à deux choses, positive et négative. Elle sert à des choses positives quand elle sert à construire l'avenir, quand elle est utilisée, par exemple, pour construire des routes, des ponts ou pour payer des professeurs. Par contre, quand elle sert à financer des activités quotidiennes, alors là ce sont les impôts de nos petits-enfants qui payent notre bien-être. Si on fait cette distinction, on s'aperçoit que la dette de l'Etat est élevée, mais loin d'être tragique", poursuivait Jacques Attali. Quel est son montant, justement ? Un peu plus de 1000 milliards d'euros, comme on le dit souvent ? "Elle n'est pas de 1000 milliards, mais plutôt de 1200 milliards. Il faut y ajouter les engagements à payer les retraites des fonctionnaires, soit 900 milliards", affirmait l'historien Jacques Marseille. "Ce n'est pas une dette", l'interrompait l'économiste Michel Aglietta. "Si, c'est une dette. Il faut les provisionner. Il faudra les payer", tranchait Jacques Marseille. On avait l'impression que les convictions, dans ce domaine, relevaient autant des tempéraments que des analyses. Frédéric Taddeï, qui joue volontiers au Huron, posait une question naïve : qui a prêté cet argent ? Auprès de qui l'Etat s'endette-t-il ainsi, tous les jours, d'une façon aussi discrète qu'indolore ? Pour la première fois, l'an dernier, un peu plus de la moitié de l'argent emprunté par le Trésor public l'a été à l'étranger.

Une ligne a été franchie. Mais l'heure est aux cadeaux. On reparlera de la dette lorsque les législatives seront passées.

Dominique Dhombres

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