mardi 8 mai 2007

Editorial de Libération

Il reviendra, le temps des cerises…

Mais d’abord l’émotion, la tristesse devant cette défaite. La déception est grande après tant de ferveur, tant de passion, tant d’espoir dans le renouveau. La France a fait un choix net. Sur la forme rien à dire. La campagne fut digne, passionnée, civique au plus haut point. Nicolas Sarkozy est un président légitime, désigné sans entourloupe ni hésitation. L’autre France cherchera une compensation dans les urnes des législatives. En attendant, le coeur serré, elle contemple la défaite en se prenant à espérer, malgré tout.

Légitimement, la droite exulte. Enfin ses vraies idées sont au pouvoir, pas celles de ce roublard de Chirac qui louvoyait sans cesse et trompait son monde. Sarkozy, un danger pour la République ? Pur procès d’intention. On peut trouver choquant le programme du nouveau président. Nicolas Sarkozy a parfaitement le droit de le mettre en oeuvre, pour rapprocher, comme il le veut, la France de la norme dominante du libéralisme conservateur. Il doit sa victoire à sa franchise talentueuse et provocante, à cette idée de rupture qui fait espérer à 53 % des électeurs qu’on va sortir par des méthodes énergiques - injustes ? - du marasme des deux dernières décennies.

Dur, mais conforme à la volonté du peuple. Thatcher sans jupons ? Préparons-nous…

On incriminera les erreurs de la candidate. Les couteaux sont tirés, comme celui qu’a déjà brandi Dominique Strauss-Kahn. Des erreurs, il y en eut. Nous les avons pointées à chaque fois. Un début de campagne hésitant, agrémenté de quelques gaffes mineures mais qui alimentaient le procès en incompétence instruit au sein même du PS envers Ségolène Royal. Du coup la candidate, désignée en grande partie parce que les sondages la plaçaient devant Sarkozy, s’est retrouvée derrière, condamnée à la course poursuite, au moment où son adversaire sonnait la charge.

Une fin de campagne meilleure et un très bon score au premier tour, quoique trop court pour l’emporter au second. L’ouverture au centre était contenue dans l’arithmétique du 22 avril. Elle fut jouée avec décision. Mais l’opinion ne bougea pas. Vint ce débat que les commentateurs, à commencer par l’auteur de ces lignes, jugèrent en sa faveur. En fait, le changement brutal de posture - une Royal soudain agressive - inquiéta sans doute les hésitants, d’autant qu’on s’aperçut, le lendemain, que les offensives les plus spectaculaires reposaient sur des données incertaines.

Digne et optimiste dans la défaite, Ségolène Royal continue.
Bonne chance…


Un tel écart interpelle la gauche tout entière. L’immobilité doctrinale du PS, produite par ses divisions d’ambition, a plombé d’avance l’élection. Refus de tirer une leçon claire de la bérézina du 21 avril 2002, illusion que le simple jeu de l’alternance suffirait à assurer la victoire, insensibilité aux enjeux nouveaux dans une France transformée par sa propre crise et par la mondialisation, négligence à l’égard du centre, absence de réflexion sur les nouvelles politiques sociales et économiques nécessaires en ce début de siècle, ouverture insuffisante aux innovations de l’altermondialisme dont il fallait prendre le meilleur, suicide par éclatement de la gauche radicale.

Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, tout d’intelligence politique, travaillait en profondeur son électorat, acclimatant sans relâche les principes libéraux au sein d’une droite jusque là jacobine. La gauche doit aujourd’hui organiser sa refondation. Ce revers doit réveiller les forces d’imagination et de modernisation, celles qui allient audace et réalisme. Libération, pour sa part, commence ce travail dès aujourd’hui. Les valeurs de compétition l’emportent. Mais les valeurs de solidarité et de justice demeurent. Sur ce socle on peut construire.

Le temps des cerises reviendra. Courage…

Laurent Joffrin

http://www.liberation.fr/

Discours au soir du second tour